Algérie : 50 ans après, toujours des indigènes

Par Aghilès Ait-Larbi – 19 décembre 2012

Alger nettoyée. Source : elwatan.com

Alger nettoyée. Source : elwatan.com

La visite de François Hollande en Algérie a marqué les conversations algéroises : non pas que les relations bilatérales soient devenues un sujet d’intérêt majeur pour la population, mais ce qui frappe, c’est bel et bien la précipitation des autorités pour nettoyer et repeindre Alger en vue de la venue du président français. Loin des préoccupations économiques, de l’implantation d’une usine Renault, des guerres de mémoire et de la question de la « repentance », ce comportement obséquieux est plutôt la traduction de l’état d’esprit du pouvoir.

S’embourbant dans des polémiques interminables sur la future présidentielle, les clans du régime commencent à chacun choisir leurs poulains. Déjà, les voix qui s’étaient élevées en 2009 pour chanter en chœur la gloire du troisième mandat de Bouteflika remontent au créneau et tel un petit groupe d’écoliers dociles, récitent la poésie apprise par cœur par un professeur de musique zélé. Après s’être accordés des augmentations de salaires  faramineuses lors de la législature précédente, après des élections entachées d’illégitimité, des députés, éloignés des préoccupations quotidiennes de bon nombre d’algériens, à l’abri du chômage et de la misère, supplient le capitaine Bouteflika de reconduire le navire Algérie pendant encore cinq ans.

Parallèlement à cela, celui-ci paraît plus fatigué que jamais. Agé, malade, usé, le président semble à bout de force. Appelant lui-même à un renouveau du paysage politique lors de son discours de Sétif, il semblait envoyer des signaux forts de réformes du système après sa présidence. Certains commentateurs ont même cru y lire l’arrivée d’un « printemps d’Alger », qui viendrait de l’intérieur du sérail. C’était sans compter sur les éternelles contorsions d’un pouvoir en fin de vie, qui ne sait plus sur quel pied danser pour préserver sa position à la tête d’un Etat paralysé. Après trois mois d’un vide gouvernemental affligeant, c’est Abdelaziz Bouteflika lui-même qui enterra ses belles paroles en nommant un « nouveau gouvernement » qui, comme à l’accoutumée, ressemblait plus à un sordide jeu de chaises musicales, où la seule véritable nouvelle a été la non-reconduction d’un des plus grands imposteurs de ce pays, l’ancien ministre de l’Education nationale Boubekeur Benbouzid, en poste pendant 20 ans.

Affichant un pseudo-volontarisme d’opérette, le gouvernement d’Abdelmalek Sellal, technocrate s’il en est et fidèle parmi les fidèles, a tenté une piètre opération de communication les premières semaines de sa nomination. Lutte contre l’informel, fin de la corruption, politiques ambitieuses et autres chevaux de bataille ont été mis en avant, inspirés par un souffle politique qui aura vite fait de s’estomper ; peu de temps après, Alger replonge dans sa monotonie quotidienne.

Et il aura fallu la venue de François Hollande pour qu’un branle-bas de combat grotesque se remette en place. Manœuvres, peintres et véhicules de nettoyage se remettent à travailler, afin de préparer la venue du président français. A chaque étape de son parcours se précipite une armée d’ouvriers, avec pour consigne de tout remettre à neuf.

Sans entrer dans les analyses néocolonialistes des rapports politico-économiques franco-algériens, est-ce vraiment cela, le fruit de cinquante ans d’indépendance ? Est-ce donc là la concrétisation du slogan « mazal waqfin » (encore debout), tant seriné tout au long de cette année 2012 ? En effet, après cent trente-deux ans de colonisation, une guerre d’une violence inouïe, des morts par centaines de milliers, et cinquante ans d’indépendance, l’Algérie se retrouve encore en posture déplorable. L’anomalie n’est pas que les autorités nettoient la ville lors de la venue d’un chef d’Etat étranger. Elle est dans ce mépris considérable, permanent, porté à chaque algérien dans son propre pays, dans chaque administration, chaque service de l’Etat où il perd sa position de citoyen pour devenir un sujet de la dictature militaire.

Dans leur propre pays, les Algériens ne méritent ni routes propres ni façades repeintes. On serait gré à François Hollande de bien vouloir quitter Alger et s’enfoncer à l’intérieur du pays, afin qu’El Mouradia fasse preuve du même volontarisme politique partout.

Ce mépris quotidien est bien la preuve que le pays n’appartient plus à ses citoyens. En démocratie, les élus, parlementaires ou Président, sont responsables devant leurs électeurs et doivent leur rendre des comptes. En Algérie, les élections tiennent plus de la fraude massive et du petit compromis entre factions de l’appareil sécuritaire, comme en attestent les dernières municipales. Cinquante ans après l’indépendance, les Algériens restent encore des indigènes dans leur propre pays. Mais tout va bien, nous aurons bientôt la plus grande mosquée du monde.

Aghilès Aït-Larbi, algérien,  est  étudiant  à  Sciences  Po  Paris  – campus Moyen-Orient Méditerranée – et s’intéresse particulièrement aux évolutions politiques des pays du Maghreb et aux nouvelles technologies. Militant, il met au cœur de son engagement associatif la défense des droits de l’Homme et des libertés en Algérie.

Contact : a.aitlarbi@gmail.com

2 Comments

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2 responses to “Algérie : 50 ans après, toujours des indigènes

  1. albane

    j adore !!!!

  2. albane

    surtout la conclusion . merci aguilès

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